Droit belge sur la période d’attente – Etat des lieux

November 27, 2012


1. Rappel des principes

La loi belge du 6 avril 2010 sur les pratiques du marché prévoit que durant la période d’attente d’hiver (du 6 décembre au 2 janvier inclus)[1] et la période d’attente d’été (du 6 juin au 30 juin inclus)[2] il est interdit, dans les secteurs de l’habillement, de la maroquinerie et des chaussures, d’annoncer des réductions de prix dont les effets se produisent durant cette période.

L’ancienne loi belge du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce contenait des règles similaires.[3]
 

2. Validité des périodes d’attente mise en doute depuis de nombreuses années

Le 12 mai 2009, la Cour d’Appel de Bruxelles a estimé dans l’affaire Inno/Unizo que les règles sur la période d’attente sont compatibles avec la Directive européenne 2005/29 sur les pratiques déloyales (ci-après la « Directive »).[4]

Cependant, plusieurs autres juridictions belges en doutaient et ont demandé à la Cour de Justice européenne de se prononcer quant à la conformité de cès règles avec la Directive.[5]

Or, le 30 juin 2011, la Cour de Justice européenne a rendu une ordonnance dont le contenu peut être résumé comme suit :

  1. Si les règles belges sur la période d’attente visent (en tout ou en partie) la protection des consommateurs, ces règles sont contraires à la Directive ;
  2. Si les règles belges sur la période d’attente visent uniquement la protection des relations concurrentielles entre les commerçants, ces règles sont compatibles avec la Directive ; et
  3. Il appartient au juge national de juger si ces règles protègent actuellement le consommateur ou pas.[6]

3. La plus récente étape judiciaire: l’arrêt du 2 novembre 2012 de la Cour de Cassation semble impliquer l’illégalité des règles sur la période d’attente…

Le 2 novembre 2012, la Cour de Cassation belge a cassé l’arrêt précité du 12 mai 2009 de la Cour d’appel de Bruxelles.[7] La Cour de Cassation ne suit donc pas le raisonnement selon lequel les règles sur la période d’attente ont pour seul objectif la protection du commerce de détail.

En effet, la Cour de Cassation estime que ces règles visent également la protection des consommateurs et tombent par conséquence dans le champ d’application de la Directive.

Il est probable que la Cour d’Appel d’Anvers – devant laquelle l’affaire Inno/Unizo a été renvoyée – prononcera explicitement l’illégalité et le défaut de force contraignante de l’ancienne réglementation sur les périodes d’attente et ce, sur base d’une lecture conjointe des considérations susmentionnées de la Cour de Justice européenne et de la Cour de Cassation belge.[8]

Cependant, il semble prématuré de déjà tirer la conclusion définitive selon laquelle les règles belges actuelles sur la période d’attente sont illégales et dépourvues de force contraignante, et ce pour plusieurs raisons:

  1. L’arrêt de la Cour de Cassation se prononce sur les règles relatives à la période d’attente reprises dans l’ancienne loi du 14 juillet 1991 et non pas sur les règles (bien que très similaire) relatives à la période d’attente contenues dans la loi du 6 avril 2010 actuellement en vigueur.
  2. La réglementation actuelle sur la période d’attente et sur les soldes n’est pas (encore) abolie ou révisée, et reste – au moins formellement – en vigueur, bien qu’elle puisse être plus difficile à imposer après l’arrêt de la Cour de Cassation.

4. … mais le Ministre de l’Economie a déjà annoncé « que nonobstant l’arrêt de la Cour de Cassation, la période d’attente reste maintenue »

Dans les 48 heures suivant la publication de l’arrêt de la Cour de Cassation, le Ministre de l’Economie et des Consommateurs, le Ministre des Classes Moyennes et le Service Public Fédéral Economie ont déjà déclaré unisono que les règles actuellement en vigueur sur la période d’attente « sont maintenues ».[9]

Le motif principal pour ce maintien est que l’arrêt de la Cour de Cassation ne concerne que l’ancienne réglementation et non pas la réglementation actuellement en vigueur (voir le point 3.i. ci-dessus).

De plus, l’Inspection Economique a entretemps déjà fait savoir que le (non-)respect de la réglementation des périodes d’attente et des soldes sera « rigoureusement contrôlé et le cas échéant verbalisé ».

La fermeté de ce point de vue des autorités belges peut surprendre dans la mesure où la réglementation actuelle est très similaire à la l’ancienne réglementation à propos de laquelle la Cour de Cassation vient de se prononcer dans l’arrêt précité et qui sera probablement déclarée « illégale » par la Cour d’Appel d’Anvers.


5. Conclusion pratique

Alors que les fondements de la réglementation belge sur les périodes d’attente continuent de trembler, la conclusion pratique de notre Legal Update du 1erdécembre 2011 reste d’actualité: les règles belges sur les périodes d’attentes demeurent pour l’heure en vigueur.

Conclusion : les commerçants qui décident de ne pas respecter la réglementation sur les périodes d’attente le font toujours à leurs risques et périls, étant entendu que ces commerçants disposent dorénavant d’un argument supplémentaire de poids pour faire valoir l’illégalité de la réglementation actuelle sur les périodes d’attente.

Compte tenu de ce qui précède, il est regrettable que le législateur ne prenne pas conscience de la nécessité de prendre une initiative législative en vue de clôturer definitivement cette discussion sur la validité de la réglementation concernant les périodes d’attente.


1. Suivie par les soldes du 3 janvier au 31 janvier inclus. 2. Suivie par les soldes du 1erjuillet au 31 juillet inclus. 3. L’ancienne loi prévoyait par exemple deux périodes d’attente d’environ six semaines (au lieu d’environ trois semaines). 4. Bruxelles, 12 mai 2009, Jaarboek Handelspraktijken en Mededinging 2009, p. 252. 5. Voir par exemple Prés. Comm. Bruxelles, 28 juin 2010, NjW, 29 septembre 2010, p. 594. 6. Ordonnance de la Cour de Justice européenne (1erchambre) du 30 juin 2011, C-288/10, publié sur le site www.curia.europa.eu. 7. Cour de Cassation, 2 novembre 2012, affaire Inno NV / Unizo VZW et Mode Unie VZW et Couture Albert BVBA, N° C.09.0436.N, publié depuis le 21 novembre 2012 sur le site www.cassonline.be. 8. Il est notamment probable que la Cour d’Appel d’Anvers estimera que l’interdiction belge d’annoncer des réductions de prix pendant une certaine période – donc les périodes d’attentes – n’est pas prévue dans la liste des « restrictions admises » de la Directive et est, dès lors, contraire à la Directive (laquelle est une norme plus élevée que la loi belge). 9. Voir l’article “Soldes: Laruelle veut préserver une concurrence entre grands et petits” (www.mr.be/actualites du 23 novembre 2012) et “Niet respecteren van sperperiode geverbaliseerd” (De Tijd, p. 22, 24 novembre 2012).
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